BEL ABÎME de Yamen MANAI, Tunisie (Elyzad, 112 pages)
À Tunis, le narrateur, un adolescent d'un milieu aisé, attend en prison d'être jugé pour des attentats d'une violence
inouïe sur de nombreuses personnes haut placées et même sur un membre de sa famille. Pourtant ce n'est ni un fanatique religieux ni un terroriste politique. Il avait jusqu'alors été un écolier timide et studieux,
objet de brimades et dont le réconfort était de se plonger dans son unique trésor : les livres dont il parle magnifiquement. Il se confie à celui que l’on comprend être son avocat et dont il n'attend aucune compréhension.
C'est seulement pour lui une occasion de crier sa haine et son désespoir. A travers l'infinie solitude intérieure d'un enfant privé de tout amour familial, souffre-douleur d'un père et d'un frère qui n'ont
que mépris pour sa délicatesse d'esprit et de corps, l'auteur évoque la détresse morale de jeunes à qui la société qui ne laisse guère espérer d’avenir, coincés comme ils le sont
entre un gouvernement corrompu, une religion sclérosante et un tissu familial gangrené par l'hypocrisie des convenances.
À la lecture de l’histoire, on comprend bien que si notre jeune protagoniste n'avait pas rencontré la chienne Bella, il n'aurait certainement pas commis les coups et blessures qui lui ont valu l'emprisonnement. Il
n'aurait pas non plus connu l'amour absolu, la confiance, le don de soi. Lorsque tout cela lui est tragiquement arraché, il s'emploie à venger le sort funeste de cette Bella et de ses semblables, voués à l’extermination.
S’il s’en prend à plusieurs cibles humaines, c’est parce que chacune de celles-ci croit se justifier en prétendant avoir simplement obéi à des ordres venus de plus haut. Il lui faut donc remonter jusqu’à
l'origine d'une décision aussi cruelle qu'absurde.
On ressent la douleur et la révolte du protagoniste.
On saisit que Yamen Mania a fait de ce drame individuel, poignant, axé sur la défense de vivants méprisés, une allégorie. Comme dans son autre puissant roman L’Amat ardent, signalé dans une de nos
précédentes sélections, l'écrivain philosophe lance un vibrant plaidoyer contre les sociétés en proie à des totalitarismes de diverses natures où sont systématiquement entravés les
sentiments naturels des humains et dangereusement ignorées les aspirations légitimes de la jeunesse.